Thursday, April 16, 2009
OGM: Au Mali, les producteurs de coton disent « non »
Le Monde Diplomatique
Avril 2006
Grand, maigre, l’homme en boubou turquoise s’est levé d’un bond, et a saisi le micro.
Voix vibrante, barbiche guillerette, index tendu vers les ventilateurs qui peinent à brasser la chaleur de midi, il interpelle l’assemblée en bambara, la langue régionale : « Pourquoi
nous demander à nous, paysans pauvres, d’accepter des OGM dont ne veulent pas les
riches paysans du Nord ? » Murmures d’assentiment dans l’assistance, puis le micro
baladeur passe à une jeune agricultrice venue avec son bébé : « A quoi bon nous pousser
à produire davantage grâce aux OGM, alors que nous n’arrivons déjà pas à écouler
notre production à un prix correct ? »
La scène se déroule à Sikasso, paisible bourgade du sud du Mali, au coeur d’une province
rurale qui produit les deux tiers de la principale source de devises du pays, l’un des plus
pauvres d’Afrique et du monde : le coton. Pendant cinq jours, du 25 au 29 janvier 2006,
un étonnant exercice de démocratie participative y a rassemblé quarante-trois petits
paysans, dont de nombreuses femmes. A la demande de l’Assemblée régionale de
Sikasso (le Parlement provincial), ces cotonculteurs, venus de toute la région, avaient
pour mission de constituer un jury citoyen chargé d’évaluer les avantages et les
inconvénients d’une éventuelle introduction d’organismes génétiquement modifiés
(OGM) dans l’agriculture de leur pays. Baptisé « Espace citoyen d’interpellation
démocratique » (ECID), en référence à des dispositifs de débats publics déjà bien établis
au Mali, ce jury – une première en Afrique de l’Ouest – était soutenu par des partenaires
européens actifs dans la promotion des méthodes participatives pour l’évaluation des
choix technologiques et des politiques de développement (1).
Le forum de Sikasso est à replacer dans le contexte des fortes pressions exercées sur les
pays d’Afrique par les multinationales agroalimentaires, en premier lieu l’américaine
Monsanto et la suissesse Syngenta, qui prônent l’industrialisation du secteur agricole et
l’ouverture des marchés aux cultures transgéniques (2). Notamment le coton Bt, qui
produit une toxine efficace contre certains ravageurs –, ce qui permettrait, en théorie, de
réduire le recours aux pesticides et de garantir de meilleures récoltes aux paysans.
L’Afrique de l’Ouest étant le troisième producteur mondial de coton, les enjeux sont
importants pour ces firmes qui bénéficient du soutien de l’Agence américaine pour le
développement international (Usaid), dotée d’un budget de 100 millions de dollars afin
d’introduire les biotechnologies dans les pays du Sud.ഊ0307V05-Etude Equicoton-Partie générale ©synAIRgis.com 79/98
Les réponses du continent à ces pressions sont très contrastées. La Zambie, pourtant
menacée de famine, a refusé l’aide du Programme alimentaire mondial, notoirement
truffé de surplus de maïs états-unien génétiquement modifié ; mais le Bénin a accepté
cette aide ambiguë, bien qu’il ait adopté en 2002 un moratoire de cinq ans sur les
OGM. En Afrique du Sud, tête de pont de l’industrie agroalimentaire, coton et maïs
transgéniques sont cultivés depuis près de dix ans, avec des résultats controversés,
cependant qu’au Burkina Faso, voisin du Mali, des expérimentations de coton
transgénique en plein champ se déroulent depuis 2003, malgré l’opposition des différents
secteurs de la société.
Extraordinairement attentifs tout au long du processus, les membres du jury ont entendu
une quinzaine de témoins experts venus d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique du Sud, d’Inde
et d’Europe. Biologistes moléculaires, ingénieurs agronomes, membres d’organisations
non gouvernementales (ONG) ou délégués de mouvements paysans ont répondu à des
interrogations très diverses sur les avantages et les inconvénients des OGM : risques pour
l’environnement et la santé, gains réels de productivité, facteurs socio-économiques,
questions éthiques et juridiques, sans négliger la dimension culturelle, d’autant plus
prégnante qu’elle est souvent subliminale. En bambara, OGM se dit Bayérè ma’shi
(« Mère nourricière transformée ») : dans une conception animiste du monde, très
présente au Mali sous un vernis musulman, la simple matérialité du génie génétique –
prendre des gènes d’une espèce pour les introduire dans une autre – avait de quoi
déranger de nombreux auditeurs.
Le problème crucial des droits de propriété intellectuelle et du brevetage du vivant a été
longuement évoqué, notamment par une généticienne béninoise, Mme Jeanne
Zoundjihekpon, de l’association Grain : « Les semences Bt sont protégées par des brevets
qui donnent aux firmes un pouvoir absolu sur les agriculteurs. Les petits paysans n’ont
plus le droit de garder des semences d’une récolte pour les replanter l’année suivante,
comme ils l’ont toujours fait, sous peine de poursuites judiciaires. » L’argument fait
mouche, d’autant plus qu’en Afrique de l’Ouest la filière du coton est en crise, comme le
rappelle M. Mamadou Goïta, dirigeant de la Coalition contre les OGM et pour la
protection du patrimoine génétique au Mali. La Compagnie malienne de développement
des textiles (CMDT), détenue à 60 % par l’Etat et à 40 % par l’entreprise française
Dagris, est devenue déficitaire en raison de la dévaluation du franc CFA et de
l’effondrement des cours mondiaux de l’« or blanc » – ceci alors que, de 1994 à 2005, la
production annuelle est passée de 320 000 à 600 000 tonnes.
La privatisation de la société, prévue pour 2008, est exigée par la Banque mondiale, qui
en fait une condition indispensable à toute aide financière au gouvernement de Bamako.
En raison du déficit, le prix payé par la CMDT aux producteurs est passé de 210 FCFA le
kilo en 2004 à 160 FCFA en 2006 (25 centimes d’euro), alors que le coût des intrants
chimiques est en augmentation. Dans ces conditions, le coton n’est plus rentable, et de
nombreux paysans qui avaient opté pour sa monoculture songent à se reconvertir dans
des cultures vivrières (mil, maïs). M. Goïta fait une autre proposition : « Le coton
biologique serait un atout pour accéder au marché des pays européens dans lesquels
l’opinion est opposée aux OGM. De toute manière, les rapports de forces sont tropഊ0307V05-Etude Equicoton-Partie générale ©synAIRgis.com 80/98
inégaux face à des puissances qui, comme les Etats-Unis, pratiquent une politique de
dumping en subventionnant massivement leurs cotonculteurs : 4 milliards de dollars par
an pour 25 000 producteurs, alors qu’au Mali le coton fait vivre plus de 3 millions de
personnes. »
Les firmes multinationales invitées ont refusé de venir s’exprimer devant le jury paysan.
« Nous avons sollicité à plusieurs reprises la fondation Syngenta et la société
Monsanto », relève Mme Barbara Bordogna, biologiste au Réseau interdisciplinaire
biosécurité (Ribios) de Genève et membre du comité de pilotage de l’ECID, « mais ces
firmes sont apparemment réticentes à entrer dans un processus de débat ouvert et
transparent, qu’elles ne peuvent pas contrôler. » Monsanto avait toutefois recommandé
des agriculteurs qu’elle savait favorables à sa cause. Ainsi, venu d’Afrique du Sud, le
fermier zoulou T. J. Buthelezi cultive du coton Bt depuis 1996, et assure que l’expérience
est concluante. Les hectares semés avec du coton transgénique ont notamment résisté à
une inondation qui avait dévasté les plants conventionnels ; depuis lors, il s’est converti
au « tout-OGM », y compris au maïs, qu’il consomme lui-même sans aucun inconvénient
pour sa santé. « Faites comme moi, enrichissez-vous ! », s’est-il exclamé à l’adresse des
paysans maliens.
Venu de l’Andhra Pradesh, Etat indien, M. P. V. Satheesh présentait, à l’inverse, une
étude méthodique, menée sur trois ans, montrant que, dans sa région, les cultivateurs de
coton traditionnel avaient obtenu de meilleures récoltes que les expérimentateurs de
coton transgénique, et que, par ailleurs, les variétés Bt n’étaient guère moins gourmandes
en pesticides que les variétés conventionnelles. Le coût élevé des semences Bt, se
combinant à des rendements décevants, a fini par entraîner la ruine de nombreux petits
paysans. Les demandes d’indemnisation adressées à Monsanto ayant été catégoriquement
rejetées, l’Etat d’Andhra Pradesh a récemment interdit à la firme d’opérer sur son
territoire.
A côté de ces témoignages divergents, on a pu entendre des positions intermédiaires,
notamment celle de M. Ouola Traoré, agronome et chef du programme coton de l’Institut
de l’environnement et de recherches agricoles (Inera) du Burkina Faso, où le coton Bt est
testé depuis 2003 en vue d’une commercialisation prévue pour les années 2010. « Seules
des recherches approfondies avec des variétés locales adaptées à nos climats permettront
de déterminer si les OGM sont une solution d’avenir pour l’Afrique de l’Ouest », a-t-il
affirmé. Mais son plaidoyer pour une recherche publique africaine autonome a eu du mal
à passer auprès d’un auditoire méfiant, tant est notoire la dépendance des institutions
scientifiques du continent envers les financements des lobbies intéressés au
développement des biotechnologies.
Se répartissant en plusieurs commissions – dont une composée uniquement de femmes –
en fonction de la taille de leurs exploitations, les membres du jury ont délibéré une
journée entière, avant de rendre leur verdict : c’est non. A l’unanimité, les paysans réunis
à Sikasso refusent toute introduction d’OGM au Mali, leur premier souci étant de
préserver les semences locales et les savoir-faire traditionnels pour ne pas dépendre des
multinationales : « Nous voulons rester maîtres de nos champs, nous ne voulons pasഊdevenir des esclaves », a affirmé l’un des porte-parole, M. Brahim Sidebe. De son côté,
M. Birama Kone a mis l’accent sur la préservation d’un mode de vie convivial : « Nos
fermiers sont habitués à s’entraider, et les OGM risquent de détruire le sens de l’amitié
et de la solidarité. Si j’ai un champ OGM et que mon voisin n’en a pas, les problèmes de
contamination vont créer des conflits entre nous. » Déléguée des femmes, Mme Basri
Lidigoita a préconisé d’orienter les recherches vers l’amélioration des semences locales
par des techniques agronomiques classiques, et une meilleure formation des petits
paysans, notamment aux méthodes d’agriculture biologique.
Transmises le 29 janvier à l’Assemblée régionale de Sikasso, les recommandations du
jury citoyen ont été rendues publiques par les radios de proximité, qui relayaient les
débats quotidiennement, ainsi que par la télévision malienne. Elles n’ont aucune force
contraignante, mais rien ne s’oppose à ce qu’elles soient prises en compte, car le Mali a
signé le protocole de Carthagène (3) sur la biodiversité. Le projet de loi qui en découle
prévoit en effet l’organisation, au niveau national, de procédures de participation du
public avant toute introduction d’OGM, même pour la recherche. « Nous ne voulons pas
d’OGM, jamais, s’est exclamée Mme Lidigoita, et nous demandons au gouvernement de
les empêcher d’entrer sur notre territoire. Et si des paysans en cultivent illégalement,
nous brûlerons leurs champs ! »
Avril 2006
Grand, maigre, l’homme en boubou turquoise s’est levé d’un bond, et a saisi le micro.
Voix vibrante, barbiche guillerette, index tendu vers les ventilateurs qui peinent à brasser la chaleur de midi, il interpelle l’assemblée en bambara, la langue régionale : « Pourquoi
nous demander à nous, paysans pauvres, d’accepter des OGM dont ne veulent pas les
riches paysans du Nord ? » Murmures d’assentiment dans l’assistance, puis le micro
baladeur passe à une jeune agricultrice venue avec son bébé : « A quoi bon nous pousser
à produire davantage grâce aux OGM, alors que nous n’arrivons déjà pas à écouler
notre production à un prix correct ? »
La scène se déroule à Sikasso, paisible bourgade du sud du Mali, au coeur d’une province
rurale qui produit les deux tiers de la principale source de devises du pays, l’un des plus
pauvres d’Afrique et du monde : le coton. Pendant cinq jours, du 25 au 29 janvier 2006,
un étonnant exercice de démocratie participative y a rassemblé quarante-trois petits
paysans, dont de nombreuses femmes. A la demande de l’Assemblée régionale de
Sikasso (le Parlement provincial), ces cotonculteurs, venus de toute la région, avaient
pour mission de constituer un jury citoyen chargé d’évaluer les avantages et les
inconvénients d’une éventuelle introduction d’organismes génétiquement modifiés
(OGM) dans l’agriculture de leur pays. Baptisé « Espace citoyen d’interpellation
démocratique » (ECID), en référence à des dispositifs de débats publics déjà bien établis
au Mali, ce jury – une première en Afrique de l’Ouest – était soutenu par des partenaires
européens actifs dans la promotion des méthodes participatives pour l’évaluation des
choix technologiques et des politiques de développement (1).
Le forum de Sikasso est à replacer dans le contexte des fortes pressions exercées sur les
pays d’Afrique par les multinationales agroalimentaires, en premier lieu l’américaine
Monsanto et la suissesse Syngenta, qui prônent l’industrialisation du secteur agricole et
l’ouverture des marchés aux cultures transgéniques (2). Notamment le coton Bt, qui
produit une toxine efficace contre certains ravageurs –, ce qui permettrait, en théorie, de
réduire le recours aux pesticides et de garantir de meilleures récoltes aux paysans.
L’Afrique de l’Ouest étant le troisième producteur mondial de coton, les enjeux sont
importants pour ces firmes qui bénéficient du soutien de l’Agence américaine pour le
développement international (Usaid), dotée d’un budget de 100 millions de dollars afin
d’introduire les biotechnologies dans les pays du Sud.ഊ0307V05-Etude Equicoton-Partie générale ©synAIRgis.com 79/98
Les réponses du continent à ces pressions sont très contrastées. La Zambie, pourtant
menacée de famine, a refusé l’aide du Programme alimentaire mondial, notoirement
truffé de surplus de maïs états-unien génétiquement modifié ; mais le Bénin a accepté
cette aide ambiguë, bien qu’il ait adopté en 2002 un moratoire de cinq ans sur les
OGM. En Afrique du Sud, tête de pont de l’industrie agroalimentaire, coton et maïs
transgéniques sont cultivés depuis près de dix ans, avec des résultats controversés,
cependant qu’au Burkina Faso, voisin du Mali, des expérimentations de coton
transgénique en plein champ se déroulent depuis 2003, malgré l’opposition des différents
secteurs de la société.
Extraordinairement attentifs tout au long du processus, les membres du jury ont entendu
une quinzaine de témoins experts venus d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique du Sud, d’Inde
et d’Europe. Biologistes moléculaires, ingénieurs agronomes, membres d’organisations
non gouvernementales (ONG) ou délégués de mouvements paysans ont répondu à des
interrogations très diverses sur les avantages et les inconvénients des OGM : risques pour
l’environnement et la santé, gains réels de productivité, facteurs socio-économiques,
questions éthiques et juridiques, sans négliger la dimension culturelle, d’autant plus
prégnante qu’elle est souvent subliminale. En bambara, OGM se dit Bayérè ma’shi
(« Mère nourricière transformée ») : dans une conception animiste du monde, très
présente au Mali sous un vernis musulman, la simple matérialité du génie génétique –
prendre des gènes d’une espèce pour les introduire dans une autre – avait de quoi
déranger de nombreux auditeurs.
Le problème crucial des droits de propriété intellectuelle et du brevetage du vivant a été
longuement évoqué, notamment par une généticienne béninoise, Mme Jeanne
Zoundjihekpon, de l’association Grain : « Les semences Bt sont protégées par des brevets
qui donnent aux firmes un pouvoir absolu sur les agriculteurs. Les petits paysans n’ont
plus le droit de garder des semences d’une récolte pour les replanter l’année suivante,
comme ils l’ont toujours fait, sous peine de poursuites judiciaires. » L’argument fait
mouche, d’autant plus qu’en Afrique de l’Ouest la filière du coton est en crise, comme le
rappelle M. Mamadou Goïta, dirigeant de la Coalition contre les OGM et pour la
protection du patrimoine génétique au Mali. La Compagnie malienne de développement
des textiles (CMDT), détenue à 60 % par l’Etat et à 40 % par l’entreprise française
Dagris, est devenue déficitaire en raison de la dévaluation du franc CFA et de
l’effondrement des cours mondiaux de l’« or blanc » – ceci alors que, de 1994 à 2005, la
production annuelle est passée de 320 000 à 600 000 tonnes.
La privatisation de la société, prévue pour 2008, est exigée par la Banque mondiale, qui
en fait une condition indispensable à toute aide financière au gouvernement de Bamako.
En raison du déficit, le prix payé par la CMDT aux producteurs est passé de 210 FCFA le
kilo en 2004 à 160 FCFA en 2006 (25 centimes d’euro), alors que le coût des intrants
chimiques est en augmentation. Dans ces conditions, le coton n’est plus rentable, et de
nombreux paysans qui avaient opté pour sa monoculture songent à se reconvertir dans
des cultures vivrières (mil, maïs). M. Goïta fait une autre proposition : « Le coton
biologique serait un atout pour accéder au marché des pays européens dans lesquels
l’opinion est opposée aux OGM. De toute manière, les rapports de forces sont tropഊ0307V05-Etude Equicoton-Partie générale ©synAIRgis.com 80/98
inégaux face à des puissances qui, comme les Etats-Unis, pratiquent une politique de
dumping en subventionnant massivement leurs cotonculteurs : 4 milliards de dollars par
an pour 25 000 producteurs, alors qu’au Mali le coton fait vivre plus de 3 millions de
personnes. »
Les firmes multinationales invitées ont refusé de venir s’exprimer devant le jury paysan.
« Nous avons sollicité à plusieurs reprises la fondation Syngenta et la société
Monsanto », relève Mme Barbara Bordogna, biologiste au Réseau interdisciplinaire
biosécurité (Ribios) de Genève et membre du comité de pilotage de l’ECID, « mais ces
firmes sont apparemment réticentes à entrer dans un processus de débat ouvert et
transparent, qu’elles ne peuvent pas contrôler. » Monsanto avait toutefois recommandé
des agriculteurs qu’elle savait favorables à sa cause. Ainsi, venu d’Afrique du Sud, le
fermier zoulou T. J. Buthelezi cultive du coton Bt depuis 1996, et assure que l’expérience
est concluante. Les hectares semés avec du coton transgénique ont notamment résisté à
une inondation qui avait dévasté les plants conventionnels ; depuis lors, il s’est converti
au « tout-OGM », y compris au maïs, qu’il consomme lui-même sans aucun inconvénient
pour sa santé. « Faites comme moi, enrichissez-vous ! », s’est-il exclamé à l’adresse des
paysans maliens.
Venu de l’Andhra Pradesh, Etat indien, M. P. V. Satheesh présentait, à l’inverse, une
étude méthodique, menée sur trois ans, montrant que, dans sa région, les cultivateurs de
coton traditionnel avaient obtenu de meilleures récoltes que les expérimentateurs de
coton transgénique, et que, par ailleurs, les variétés Bt n’étaient guère moins gourmandes
en pesticides que les variétés conventionnelles. Le coût élevé des semences Bt, se
combinant à des rendements décevants, a fini par entraîner la ruine de nombreux petits
paysans. Les demandes d’indemnisation adressées à Monsanto ayant été catégoriquement
rejetées, l’Etat d’Andhra Pradesh a récemment interdit à la firme d’opérer sur son
territoire.
A côté de ces témoignages divergents, on a pu entendre des positions intermédiaires,
notamment celle de M. Ouola Traoré, agronome et chef du programme coton de l’Institut
de l’environnement et de recherches agricoles (Inera) du Burkina Faso, où le coton Bt est
testé depuis 2003 en vue d’une commercialisation prévue pour les années 2010. « Seules
des recherches approfondies avec des variétés locales adaptées à nos climats permettront
de déterminer si les OGM sont une solution d’avenir pour l’Afrique de l’Ouest », a-t-il
affirmé. Mais son plaidoyer pour une recherche publique africaine autonome a eu du mal
à passer auprès d’un auditoire méfiant, tant est notoire la dépendance des institutions
scientifiques du continent envers les financements des lobbies intéressés au
développement des biotechnologies.
Se répartissant en plusieurs commissions – dont une composée uniquement de femmes –
en fonction de la taille de leurs exploitations, les membres du jury ont délibéré une
journée entière, avant de rendre leur verdict : c’est non. A l’unanimité, les paysans réunis
à Sikasso refusent toute introduction d’OGM au Mali, leur premier souci étant de
préserver les semences locales et les savoir-faire traditionnels pour ne pas dépendre des
multinationales : « Nous voulons rester maîtres de nos champs, nous ne voulons pasഊdevenir des esclaves », a affirmé l’un des porte-parole, M. Brahim Sidebe. De son côté,
M. Birama Kone a mis l’accent sur la préservation d’un mode de vie convivial : « Nos
fermiers sont habitués à s’entraider, et les OGM risquent de détruire le sens de l’amitié
et de la solidarité. Si j’ai un champ OGM et que mon voisin n’en a pas, les problèmes de
contamination vont créer des conflits entre nous. » Déléguée des femmes, Mme Basri
Lidigoita a préconisé d’orienter les recherches vers l’amélioration des semences locales
par des techniques agronomiques classiques, et une meilleure formation des petits
paysans, notamment aux méthodes d’agriculture biologique.
Transmises le 29 janvier à l’Assemblée régionale de Sikasso, les recommandations du
jury citoyen ont été rendues publiques par les radios de proximité, qui relayaient les
débats quotidiennement, ainsi que par la télévision malienne. Elles n’ont aucune force
contraignante, mais rien ne s’oppose à ce qu’elles soient prises en compte, car le Mali a
signé le protocole de Carthagène (3) sur la biodiversité. Le projet de loi qui en découle
prévoit en effet l’organisation, au niveau national, de procédures de participation du
public avant toute introduction d’OGM, même pour la recherche. « Nous ne voulons pas
d’OGM, jamais, s’est exclamée Mme Lidigoita, et nous demandons au gouvernement de
les empêcher d’entrer sur notre territoire. Et si des paysans en cultivent illégalement,
nous brûlerons leurs champs ! »
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