Saturday, June 06, 2009
MONSANTO A L'ASSAUT DU BURKINA FASO
L’introduction du coton transgénique provoque la colère des paysans africains
La crise alimentaire de 2008 a relancé le débat sur les biotechnologies, censées accroître la productivité de l’agriculture africaine. Mais, comme leurs homologues altermondialistes occidentaux, les paysans du continent noir se méfient des conséquences sanitaires et sociales des organismes génétiquement modifiés. Le semencier américain Monsanto a donc décidé d’employer les grands moyens pour les imposer, avec l’aide du président burkinabé Blaise Compaoré. La résistance s’organise.
Par Françoise Gérard
Le Monde Diplomatique, Fevrier 2009
Source: http://www.monde-diplomatique.fr/2009/02/GERARD/16793
Petit Etat parmi les plus pauvres du monde, le Burkina Faso s’est discrètement lancé dans la culture des organismes génétiquement modifiés (OGM), en l’occurrence le coton Bt (1). Révélé au grand public en 2003, le partenariat de Ouagadougou avec le semencier américain Monsanto suscite d’autant plus la controverse parmi les paysans et les associations locales qu’il représente un test pour le développement des OGM dans toute l’Afrique de l’Ouest. Comment le Burkina Faso en est-il venu à travailler avec une entreprise célèbre pour son herbicide Roundup et son « agent orange » (2) ? La sacro-sainte « lutte contre la pauvreté » à laquelle les OGM apporteraient leur contribution en dynamisant l’agriculture burkinabé semble avoir bon dos, et les motivations réelles des partenaires commencent seulement à se faire jour sous la pression des associations...
C’est dans le plus grand secret que les premiers essais de coton Bt ont démarré au Burkina Faso, en 2001, en violation de la convention sur la diversité biologique de 1992 et le protocole de Carthagène sur la biosécurité de 2000. Ces traités internationaux stipulent que les pays concernés doivent se munir d’un cadre législatif et prendre les plus grandes précautions avant de commencer la culture d’OGM. En outre, les signataires s’engagent à informer la population des dangers et à ne prendre aucune décision sans une large concertation publique.
Pourtant, ce n’est qu’en 2003, lors d’un atelier sur la biosécurité à Ouagadougou, que la Ligue des consommateurs apprit l’existence de ces essais et divulgua ce que l’Institut de l’environnement et de la recherche agricole (Inera) avait dissimulé. Monsanto prétendit que les essais étaient effectués dans des « espaces confinés ». En réalité, il s’agissait de parcelles entourées de filets déchirés.
C’est donc « après coup » que le Burkina Faso se mit en règle, faisant ratifier par le Parlement, en avril 2006, le régime de sécurité en biotechnologie. Les soixante-quinze articles de cette loi auraient pu rassurer les opposants aux OGM, s’il n’était stipulé que son but est « de garantir la sécurité humaine, animale et végétale, et la protection de la diversité biologique et de l’environnement » (art. 22), l’Agence nationale pour la biosécurité (ANB) étant chargée de l’évaluation des risques. Or, d’après leurs opposants, c’est précisément parce que les risques sont incontrôlables que les cultures OGM sont contestées (3)...
Si Monsanto a choisi le Burkina Faso, c’est d’abord parce qu’il est le plus gros producteur de coton d’Afrique de l’Ouest, devant le Mali, le Bénin et la Côte d’Ivoire. En outre, sa situation géographique en fait le cheval de Troie des biotechnologies dans la région. Les frontières sont poreuses : on sait que les usines d’égrenage favorisent des échanges involontaires. La contamination « accidentelle » des plantes par les OGM profite aux firmes conquérantes, une plante contaminée ne pouvant revenir à son état antérieur et rien ne distinguant à l’œil nu une plante génétiquement modifiée d’une autre.
De plus, les contrôles techniques, très coûteux, ne sont pas à la portée des communautés rurales. Tout doucement, les OGM sont donc en train de s’imposer à l’insu des citoyens. Si le Bénin a renouvelé pour cinq ans un moratoire sur les OGM, le Mali vient de céder à la pression et d’autoriser les essais de coton Bt.
Le Burkina Faso était le maillon faible de la région : son président Blaise Compaoré cherchait à renouer avec la « communauté internationale » après avoir soutenu activement l’ancien président du Liberia, M. Charles Taylor (4), pendant la très meurtrière guerre civile dans les années 1990. Il était soupçonné d’avoir alimenté le trafic d’armes et de diamants dans la sous-région. En quelques années, son pays est devenu un élève modèle des institutions financières internationales et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le partenariat avec Monsanto a ainsi constitué un geste politique envers les Etats-Unis, très mécontents de l’attitude de M. Compaoré.
A partir de 2003, le ministre de l’agriculture Salif Diallo fit du coton OGM son cheval de bataille. L’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB), dirigée par M. François Traoré, après avoir manifesté ses inquiétudes, modifia ses positions en échange de 30 % des parts de la Société des fibres textiles (Sofitex), la principale société cotonnière burkinabé, privatisée à la demande de la Banque mondiale. Des paysans dissidents créèrent alors, en 2003, le Syndicat national des travailleurs de l’agropastoral (Syntap), farouchement opposé aux OGM. Un leader paysan, M. Ousmane Tiendrébéogo, s’insurge : « Chez nous, il n’y a que l’agriculture ; on n’a pas le droit de jouer à la roulette russe avec notre avenir. »
Face à l’UNPCB se trouvent trois sociétés cotonnières : la Sofitex, dans la région Ouest, la Société cotonnière du Gourma (Socoma, ex-Dagris), dans la région Est, et Faso Coton, dans la région Centre. Elles fixent avec l’UNPCB le prix annuel : 165 francs CFA (0,25 euro) le kilo de coton « premier choix » pour 2008. Elles fournissent — à crédit — les intrants, les insecticides et les herbicides nécessaires puis, quand la récolte est faite, viennent la collecter dans les champs pour l’amener à l’usine d’égrenage.
Cette « prise en charge » héritée du système colonial est à double tranchant, car elle ne laisse guère d’autonomie au producteur. Propriétaire de sa parcelle, il peut théoriquement abandonner le coton s’il estime le bénéfice insignifiant, et adopter une autre culture de rente, comme le sésame (5). Mais, en réalité, son endettement, son faible niveau d’instruction ainsi que les produits fournis par les sociétés cotonnières le rendent très dépendant du système. M. Yezuma Do, producteur, raconte : « Ils sont venus avec les autorités et les gendarmes pour nous dire que l’année prochaine nous ferons tous du Bt, parce que c’est mieux pour nous. Mais ils ne nous disent pas le prix des semences. Et si nous refusons, l’UNPCB nous prévient que nous ne pourrons pas égrener notre coton conventionnel dans la région. » De guerre lasse, M. Do envisage, avec de nombreux voisins, de renoncer à la culture du coton.
L’UNPCB et les sociétés cotonnières se sont constituées en Association interprofessionnelle du coton au Burkina (AICB). En concertation avec les chercheurs de l’Inera et Monsanto, l’AICB supervise la formation des techniciens et des producteurs. C’est elle qui fixera le prix de la semence Bt pour 2009... La boucle est bouclée. En 2008, douze mille hectares de coton Bt, type Bollgard II, ont été mis en culture afin de procurer les semences pour trois cent mille à quatre cent mille hectares, l’ANB ayant autorisé la production commerciale du coton Bt pour 2009.
Qu’en sera-t-il réellement ? Si la semence de coton conventionnel prélevée sur la récolte ne coûte que 900 francs CFA (1,37 euro) l’hectare, en revanche les droits de propriété intellectuelle (DPI) dus à Monsanto risquent de dépasser les 30 000 francs CFA (45 euros) à l’hectare (6). On se contente de rassurer les paysans en leur promettant que le prix n’excédera pas leurs moyens.
Un front anti-OGM
Un front anti-OGM rassemblant des associations s’est constitué : la Coalition pour la conservation du patrimoine génétique africain (Copagen). Des groupements de pays voisins en font partie (Bénin, Mali, Côte d’Ivoire, Niger, Togo et Sénégal). Bien que ses capacités financières soient restreintes, la Copagen a organisé en février 2007 une caravane à travers la sous-région afin de sensibiliser et d’informer les populations du danger qui les menace. Cette manifestation s’est achevée par une marche de protestation dans les rues de Ouagadougou. Sur les pancartes, on pouvait lire : « Non au diktat des multinationales » ; « Cultiver bio, c’est véritablement protéger notre environnement » ; « Les accords de partenariat économiques (7) et les OGM ne sont pas des solutions pour l’Afrique, ils sont même contre nous : stop-réfléchis-résiste ».
Un participant résumait ainsi le problème : « Si c’est ça les OGM, nous n’en voulons pas ! Est-ce que nos responsables travaillent vraiment pour notre bien ? Il faut dès à présent introduire partout l’information et la sensibilisation sur les OGM ; ils ne passeront jamais par l’Afrique... » Et de s’inquiéter des effets de la « propagande » des partisans du coton transgénique.
Il vrai que le front pro-OGM ne lésine pas sur la dépense, bénéficiant du soutien du gouvernement : conférences de presse, voyages d’études entièrement payés, sorties sur le terrain, films d’« information »... Les dépliants sur papier glacé de Monsanto décrivent un monde idyllique à l’aide des statistiques de l’Inera. Ils prétendent que les semences OGM Bollgard II apporteront : une augmentation moyenne de rendement de 45 %, une réduction des pesticides de six à deux passages, une réduction des coûts de 62 %, d’où une économie de 12 525 francs CFA par hectare (soit 20 euros) et, par conséquent, un bienfait pour la santé des cultivateurs et pour l’environnement.
Or rien ne paraît plus aléatoire que le « rendement moyen » dans un pays soumis à une pluviométrie capricieuse. S’il ne pleut pas, il arrive que les paysans soient obligés de procéder jusqu’à deux ou trois semis successifs. Lorsque le prix des semences est négligeable, il s’agit « seulement » d’un surcroît de travail. Mais, si on doit acquitter les DPI, à combien reviendra un hectare de coton ? En outre, il s’avère que le gène miraculeux reste sensible à la sècheresse et qu’il dégénère à mesure que la plante croît. Dernière déconvenue : lors d’un atelier animé par l’Union européenne auquel participait M. Traoré, on a enjoint aux producteurs de coton de garder un stock de pesticides de sécurité « au cas où ». Ce qui signifie que le recours aux produits chimiques ne diminue pas à coup sûr.
En effet, deux phénomènes peuvent se produire : l’apparition de chenilles résistantes au gène (en quatre ou cinq ans) et de ravageurs secondaires non maîtrisés par le gène. Les Etats-Unis et l’Inde ont été confrontés à ce problème. Curieusement, si le Comité consultatif international du coton (CCIC) (8), réuni à Ouagadougou du 17 au 21 novembre 2008, a vanté la réussite spectaculaire du coton Bt indien (six années consécutives de rendements croissants), aucune mention n’a été faite de la vague de suicides chez les petits producteurs ruinés par une production bien inférieure à ce qu’on leur avait fait miroiter.
Quant à la réduction des coûts, il est bien hasardeux d’avancer un chiffre alors que Monsanto garde jalousement le secret du prix des DPI, qui s’ajoutera à celui des intrants et des herbicides. A supposer que les rendements soient meilleurs (9), la différence ne permettra guère plus que d’éponger le surcoût des DPI.
L’argument auquel les cultivateurs sont le plus sensibles reste la diminution des pesticides que Monsanto fait miroiter. En effet, pendant les jours d’épandage, il est fréquent que les agriculteurs dorment dans leurs champs avec toute leur famille, s’exposant ainsi à la toxicité importante de ces produits. Or on peut utiliser un insecticide naturel tiré du margousier, un arbre courant en Afrique de l’Ouest. Un encadrement technique suffit, comme le montrent des expériences menées au Mali sur 10 % des surfaces cotonnières par la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT). En 2001, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a, de son côté, lancé un projet de gestion intégrée de la production et des déprédateurs (GIPD) visant à réduire, voire à supprimer, l’utilisation des pesticides. Cependant, rien n’est fait pour que ce programme GIPD dépasse le stade des essais pilotes. De plus, « l’UNPCB se comporte comme une milice au sein du monde paysan en renforçant la politique de la Sofitex qui nous impose des intrants et des insecticides, sans nous donner la possibilité de les refuser », proteste M. Do.
Parmi les solutions de rechange aux OGM, il existe le coton bio et équitable que l’association Helvetas a lancé au Mali en 2002, au Burkina Faso en 2004 : aucun produit chimique, fumure organique (gratuite), récolte de première qualité... Le sol se régénère au lieu de se dégrader. Le kilo de coton est payé 328 francs CFA (0,50 euro) au producteur, contre 165 francs CFA (0,25 euro) pour le coton conventionnel. La filière regroupe déjà quelque cinq mille petits producteurs sur environ sept mille hectares répartis sur les trois régions, Ouest, Centre et Est, du Burkina. Mais plusieurs facteurs semblent freiner son expansion : outre les interventions sonnantes et trébuchantes de Monsanto, allié aux institutions financières internationales, le transport du fumier organique nécessite un âne et une charrette. Rares sont les paysans qui disposent de ces moyens.
Selon M. Abdoulaye Ouédraogo, responsable de la filière coton à Helvetas Burkina, « ici, il n’y a pas d’avenir pour les OGM. D’abord pour des raisons climatiques. Ensuite parce que les petits producteurs n’appliqueront jamais les consignes. Ils se préoccupent d’abord de remplir les greniers pour nourrir la famille : le coton vient seulement après. Ce n’est pas comme aux Etats-Unis, où l’on pratique la monoculture à perte de vue... ».
L’acharnement pro-OGM s’explique alors non seulement par la volonté des transnationales, mais aussi par l’enrichissement qu’en retire une classe privilégiée au détriment de l’intérêt du pays.
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