Wednesday, April 15, 2009

L’implantation rampante du coton Bt au Burkina Faso.

La question des Organismes génétiquement modifiés (OGM) reste assez mystérieuse pour le grand public. Dès leur apparition dans les années 80, ils ont suscité la controverse et l’inquiétude. Beaucoup y ont vu un progrès fantastique et prometteur pour le devenir humain, d’autres craignent qu’on ait ouvert une nouvelle boite de Pandore, et redoutent ses effets inconnus et non maîtrisables. Le débat scientifique, les batailles d’experts, ne doivent pas nous aveugler. Sous le couvert de la recherche scientifique, de gigantesques enjeux économiques se profilent. D’autre part, le Burkina Faso est le second pays africain, après l’Afrique du Sud, à s’engager résolument dans la culture du coton BT qui est génétiquement modifié. 15 000 hectares seront semés en plein champ cette année. Il serait temps que les Burkinabè sachent de quoi il s’agit, et qu’ils s’informent à d’autres sources que celles des multinationales qui produisent les OGM.

La cellule est l’élément constitutif fondamental de tout être vivant, animal ou végétal. L’homme est constitué de milliards de cellules. Au centre de chaque cellule se trouve le noyau, et à l’intérieur de ce noyau, il y a les "chromosomes". Ceux-ci sont porteurs du patrimoine héréditaire (ADN). Les chromosomes sont constitués de segments appelés "gènes". Chaque gène correspond à un caractère déterminé. Les gènes sont transmis des parents aux enfants. L’ensemble des gènes forme le "génome". Les scientifiques, sans égard pour l’étrange et mystérieuse complexité du vivant, sont intervenus dans le processus naturel pour fabriquer de nouvelles créatures. Ainsi ils sont parvenus à ôter un gène d’un organisme vivant pour le transférer dans un autre organisme vivant, afin de lui conférer un nouveau caractère héréditaire.

L’être vivant ainsi modifié est appelé : OGM. Depuis des millénaires, l’humanité a cherché à améliorer la qualité des plantes dont elle se nourrit et à les adapter aux conditions climatiques et géologiques. Mais elle l’a fait par la sélection et les croisements naturels des meilleures semences. Ainsi le maïs était une plante sauvage que les Indiens d’Amérique ont domestiqué pour en faire la céréale que nous connaissons. Le processus naturel des croisements a donné la "biodiversité", c’est-à-dire une grande variété au sein d’une même espèce : ainsi il y a du maïs blanc, rouge ou jaune, tendre ou farineux, adapté à tel ou tel sol, à telle ou telle altitude. Cette précieuse biodiversité est le résultat de l’observation et du travail d’innombrables générations de paysans.

Les croisements naturels entre espèces différentes sont impossibles. On appelle cela "la barrière des espèces". Une chèvre et un mouton ne peuvent pas procréer. Un singe et un être humain non plus. Certaines espèces voisines comme l’âne et le cheval ou le tigre et le lion, s’ils s’accouplent ne donneront qu’une progéniture stérile (le mulet, le tigron). La sexualité des plantes et des animaux est l’union dynamique du masculin et du féminin pour transmettre la vie. Or la manipulation génétique intervient avant la rencontre sexuelle. La plupart des généticiens considèrent l’organisme vivant comme un matériau dépourvu d’intelligence, comme des briques qu’on peut assembler et déplacer selon le but recherché. Pour eux, la vie n’est plus qu’"un vaste ensemble de réactions chimiques".

Quels sont les buts recherchés ?

Dans le domaine de l’agriculture -le seul que nous aborderons- il s’agit d’améliorer le rendement, la conservation ou la qualité d’une plante. Voici quelques exemples de créations déjà réalisées : un gène de porc introduit dans la tomate (plus de fermeté, meilleure conservation), un gène humain dans le saumon (poisson plus gros). Un savant a même inventé un lapin fluorescent pour distraire son équipe…

Mais nous allons revenir au Burkina Faso et porter notre attention sur la culture du coton BT. "BT" signifie qu’un gène d’une bactérie du sol (bacillus thuringiensis) a été incorporé à la plante de coton pour produire une toxine insecticide. Celle-ci est mortelle pour les chenilles qui la mangent. Ce qui a pour avantage de réduire considérablement les traitements insecticides nécessaires pour protéger le coton (de 6 à 2 en principe) et par suite d’augmenter le rendement. Le coton BT est produit par la firme américaine Monsanto qui prétend ainsi résoudre les problèmes des paysans africains et contribuer à la lutte contre la pauvreté. Les sceptiques ne seraient que des gens tournés vers le passé qui refusent le "progrès".

Le coton BIO :

Depuis 1999, l’ONG suisse Helvétas a lancé au Mali puis au Burkina Faso la culture du coton biologique, c’est-à-dire sans intrants chimiques. Il occupe encore des surfaces modestes bien que ses résultats soient très intéressants : les paysans s’engagent à n’utiliser aucun engrais ni pesticide chimiques qu’ils remplacent par le compost et les produits naturels. Le rendement est inférieur à celui du coton conventionnel, mais largement compensé par l’économie de traitements chimiques. Ainsi le coton bio, très demandé en Europe, est payé 300 CFA le kg (contre 145 CFA en 2007 pour le coton conventionnel) . Avantages : les sols sont préservés, les revenus sont décents et la méthode est à la portée des petites exploitations familiales. De plus, pas d’endettement, et pas d’empoisonnement par les produits toxiques… Par contre, cette culture nécessite la formation des paysans et un suivi qui ne permet pas pour l’instant de dépasser 10 000 petits producteurs.

L’implantation rampante du coton Bt.

La SOFITEX n’est guère favorable à cette initiative qui la prive, elle et ses actionnaires, des revenus des intrants qu’elle vend aux cotonculteurs et qui constituent une part importante de ses bénéfices. A l’examen de tous ces risques et incertitudes, et en considérant des solutions plus appropriées au contexte africain, on a du mal à comprendre comment le coton BT pourrait résoudre les difficultés des cotonculteurs. D’autant plus que leurs véritables problèmes sont ailleurs : les sécheresses dues au réchauffement climatique, les criquets, la concurrence asiatique, et les subventions accordées aux cotonculteurs américains qui font baisser le prix du coton africain. Mais alors ? Pourquoi tant d’enthousiasme de la part des responsables du Burkina Faso ?

Le 19 février 2008, le professeur Maxime Somé et l’ancien ministre des Ressources animales, M. Alassane Séré, tous deux membres du BBA (Burkina Biotech Association) ont donné une conférence de presse organisée par l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications) qui avait pour but de rassurer la population burkinabè au sujet des OGM en leur apportant une information "saine et juste". Après avoir qualifié le front anti-OGM de "rêveurs", ils ont déclaré que les négociations avec Monsanto s’étaient passées dans un climat de partenariat "franc et constructif". Selon ces accords, 70 % des bénéfices reviendront aux Burkinabais…

Mais il n’est pas précisé la part qui reviendra aux cotonculteurs. De plus, pas un mot sur l’épineuse question des brevets. Qu’est-ce que l’ISAAA ? Elle se présente comme une organisation à but non lucratif qui a pour mission de soutenir le développement des pays du Sud. Mais internet nous permet rapidement d’établir ses liens avec Monsanto, avec la Fondation Rockefeller, et avec la Banque Mondiale. L’ISAAA est en fait une agence américaine qui dispose de fonds inépuisables pour promouvoir les OGM sur tous les continents. Elle offre des voyages d’études et des bourses à des scientifiques pour les former aux techniques du génie génétique dans les laboratoires privés et publics des Etats-Unis. Sa stratégie - qui est celle de l’USAID - consiste à cibler les élites d’un pays et à les gagner à sa cause par des arguments sonnants et trébuchants. Elle n’oublie pas les journalistes qu’elle traite bien et à qui elle dispense la bonne information - c’est-à-dire la sienne -donnée par des "experts" payés par la firme. Comment résister au chant des sirènes, quand on est un chercheur ressortissant d’un pays vraiment pauvre ?

En réalité, seuls les instituts de recherche comme le BBA seront généreusement dotés. En contrepartie, il est normal que les chercheurs locaux servent les intérêts des Etats-Unis avant ceux du peuple burkinabais. C’est une nouvelle forme de colonialisme qui se met en place et qui transformera les petits exploitants africains en ouvriers agricoles livrés aux caprices de l’agrobusiness international.

Kass El Diany (Source ATTAC) Nouvelle Libération du 18 juin 2008

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